La guêpe
Je portais un collant. Pourquoi un collant ? Je ne sais plus. Ce n’était pas dans mes habitudes et il faisait un temps – on était fin septembre – qui ne le justifiait absolument pas. Peut-être Louis me l’avait-il demandé ? « Un collant aujourd’hui ! Et pas de culotte ! ». C’est le plus vraisemblable. Quoi qu’il en soit, il s’était montré, ce dimanche après-midi-là, tout particulièrement en forme et m’avait infligé, pour mon plus grand bonheur, une fessée fort appuyée dont j’allais probablement garder trace longtemps.
En général, quand je redescendais de chez lui, j’allais longuement flâner par les rues. Nue sous ma robe. L’air s’insinuait partout, me caressait voluptueusement et le frottement du tissu sur ma peau meurtrie l’agaçait délicieusement. À cela s’ajoutait que je croisais des gens, que j’effleurais des regards. Qui ne savaient pas. Qui ne se doutaient pas. C’était un enchantement. Intérieurement, je jubilais.
Nue, c’était un délice, mais en collant ? À ma grande surprise, ce n’était pas si désagréable que ça finalement. Non, ce n’était pas désagréable du tout. Bien au contraire. Ça enfermait la fessée. Ça la concentrait. On aurait dit qu’elle luttait pour sortir, pour s’échapper. Qu’elle s’affolait de ne pas y parvenir. Les sensations s’en trouvaient incroyablement démultipliées.
Du coup, j’ai voulu prolonger ma promenade. Des rues inconnues. Un quartier nouveau pour moi. Au loin des cris. Des appels. On jouait au foot. Des rouges contre des verts. Je me suis approchée, accoudée à la balustrade. J’ai regardé courir, tirer, transpirer. En bas, ça me battait. Ça s’élançait. Ça irradiait. Derrière. Devant. S’ils s’étaient douté !
Il y en a d’abord eu une. Une guêpe. Que j’ai chassée, du revers de la main, du plus vite que j’ai pu. J’ai toujours eu, depuis toute petite, une peur panique – irraisonnée – des insectes volants. Elle est revenue, presque aussitôt, en compagnie d’une autre. J’ai battu l’air, mouliné. Je devais avoir l’air particulièrement idiote, mais personne ne semblait faire véritablement attention à moi. Elles se sont éloignées. Ont disparu.
Quelques instants de répit et elles sont repassées à l’attaque. En piqué cette fois. À trois. À quatre. Plus peut-être. Pas le temps de compter. Il y en a une qui s’est engouffrée sous ma jupe. Qui est venue buter, à l’aveugle, contre mes cuisses. Ah non ! Non ! Pas ça ! Non ! Je l’ai secouée, ma jupe, tant que j’ai pu, pour la faire sortir. Sans autre résultat que de l’affoler, que de la faire se jeter partout là-dessous en vrombissant tout ce qu’elle savait. J’ai brusquement réalisé : c’était la crème adoucissante que Louis avait absolument tenu à me passer sur les fesses qui les attirait. Mais alors ! Est-ce qu’elles allaient toutes ? Prise de panique, ne sachant plus à quel saint me vouer, par réflexe, j’ai passé les deux pouces sous l’élastique du collant auquel j’ai imprimé un rapide mouvement de va-et-vient. Pour faire de l’air. Pour la chasser. Elle et toutes celles à venir. Qu’elles s’en aillent ! Mais qu’elles s’en aillent ! Mal m’en a pris : elle s’est glissée dans l’ouverture. Emprisonnée entre le collant et la peau, terrorisée, elle m’a piqué la fesse. Une fois. J’ai hurlé. Deux fois. J’ai baissé mon collant en catastrophe. Une troisième fois. J’ai arraché ma jupe…
– Elle est partie ?
– Non, elle est morte. Je l’ai écrasée.
– Oh, merci… Merci.
Mon sauveur, c’était le numéro huit vert qui avait volé à mon secours en m’entendant crier.
D’autres aussi avaient accouru. M’entouraient maintenant. Presque tous. J’ai voulu remonter mon collant. Une main m’en a fermement empêchée. M’a emprisonné le poignet.
– Attendez ! Lulu arrive. Avec la trousse de secours. Il va vous soigner ça.
– Non, non. C’est pas la peine. Ça va aller.
Il n’a pas lâché prise.
– Vous êtes folle ? Et si vous faites une allergie ? Vous savez ce que vous risquez si vous faites une allergie ?
Il y en a un qui a cru bon de préciser.
– Faut pas rigoler avec ça. Elle en est morte, ma sœur.
– Surtout trois fois. Trois fois vous avez été piquée. Et c’est vraiment pas beau.
– Ça, c’est le moins qu’on puisse dire. Ça enfle à une allure. Vous pouvez pas le voir, mais nous…
– Faudrait peut-être qu’on la suce ?
– Mais non, idiot ! C’est pour les vipères qu’on suce. Pas pour les guêpes.
L’homme à la trousse a surgi, s’est agenouillé à mes côtés.
– Écartez-vous ! Laissez-la respirer. Tout le monde à dix mètres ! Sinon carton rouge. Et vous, allongez-vous ! Sur le ventre.
Il a pommadé en cercles concentriques réguliers. Doux. Apaisants. Et m’a chuchoté à l’oreille…
– Vous n’avez pas honte ? Toute nue, comme ça, devant mes joueurs !
– C’est pas de ma faute. C’est parce que…
– Et la fessée ? C’est pas de votre faute non plus ?
J’ai voulu balbutier quelque chose J’ai bredouillé. Bafouillé. Me suis tue.
– Vous mériteriez que je vous en colle une autre, tiens, pour la peine. Devant tout le monde.
8 commentaires
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Paulparis
Mdr !!! Puisqu’il faut être djeun’s ici !
Merci pour ce moment de franche rigolade
lunapower
très bien écrit, j’adore 🙂
francois-fabien
Merci à tous les deux de votre lecture et de vos commentaires.
mi-ange
Très beau récit, j’aime beaucoup.
“Vous mériteriez que je vous en colle une autre, tiens, pour la peine. Devant tout le monde”
Ce type de menaces à toujours de grands effets.
Eilinel
Je suis passée à côté de celui 🙁
J’aime beaucoup ce récit.
francois-fabien
Merci à toutes les deux. Ce n’est pas un récit réel, bien sûr, mais imaginé à partir d’une petite scène vue autour de laquelle j’ai brodé.
CROCODELLE
Très beau récit @francois-fabien ☺
francois-fabien
Merci, Crocodelle.