Bormes-les-Mimosas, à l’ombre des antiques nerfs en fleurs.
Accueil › Forums › Discussions générales › Récits › Bormes-les-Mimosas, à l’ombre des antiques nerfs en fleurs.
- Ce sujet contient 9 réponses, 8 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par
Eva, le il y a 7 mois et 1 semaine.
- AuteurMessages
- 20 août 2023 à 09:21 #89334
Abi San
Participant
Stan et Lila – impromptu estival.Elle se hausse sur la pointe des pieds, prend appui sur le plan de travail en bois d’olivier et atteint le bocal d’amandes au-dessus d’elle, reculé au creux de l’étagère entre la farine d’épeautre et la farine de châtaigne. Elle voit se dessiner l’ombre de son bras sur le mur, à travers le jour tamisé par les persiennes poussées. La porte-fenêtre de la cuisine est ouverte, elle entend le chant assourdissant des cigales, et en contrebas, l’eau qui éclabousse dans la piscine, les rires qui s’entrecroisent. Son cœur est aux aguets. Elle n’est pas tranquille. Les rais de la lumière brûlée de midi jonchent le sol en zébrures devant elle, elle penche un peu la tête pour distinguer la silhouette qui se tient debout, à quelques pas devant la cuisine, dans la poussière du dehors pleine de chaleur étouffante et d’aiguilles de pins. Elle le surveille du coin de l’œil : il surplombe l’escalier en pierre de la piscine ; il n’a pas suivi son compagnon, avec qui il devisait jusqu’ici.
Elle avale sa salive, essuie ses mains pleines de farine sur son tablier aux motifs provençaux.
Il a posé son verre, de glace, de cassonade et de citron vert, sur la table près de lui, et son cœur à elle, dans ce geste entrechoqué, lui fait l’effet de mille morceaux jetés dans l’air. Il s’est retourné vers la maison ; il ne peut pas la distinguer à travers les persiennes mi-closes, mais elle sait qu’il s’avance maintenant vers elle.
Elle reprend son souffle, passe ses mains une nouvelle fois sur ses hanches. La caïpirinha brille dans le soleil, translucide, isolée sur la table du jardin. Une branche de romarin traverse le verre comme un glaive dans un cœur.
Elle se retourne un peu trop précipitamment, sort la tarte du four ; l’odeur des abricots cuits emplit ses narines, leur peau si douce se gonfle dans le plat de céramique. Elle pose la tarte sur le plan de travail, saisit le pot d’amandes émondées. Elle entend la porte de l’entrée. Elle inspire profondément pour calmer les battements de son cœur. Elle renverse une poignée d’amandes blanches sur la table : sans peau. Si blanches. Dénudées. Il s’est arrêté dans l’entrée. Elle sait ce que cet arrêt signifie. Elle sait ce qu’il est en train de saisir, au passage. De soupeser, de choisir du regard. Elle sait ce qu’il y a en décoration dans l’entrée. En décoration fuselée, dans le vase immense, veiné de bambou, à gauche de la porte. Elle place distraitement les amandes sur le dessus de la tarte, s’empare d’une poignée de feuilles de sauge qu’elle a cueillies une par une tout à l’heure. Elle entend son pas de nouveau, qui atteint la porte de la cuisine. Il entre, sur le seuil. Elle n’a pas besoin de se tourner vers lui pour savoir ce qu’il tient en main.
Il y a le chant assourdissant des cigales qui emplit chaque parcelle de l’air, répandue dans la cuisine, l’odeur de la pinède et des abricots tièdes. De la pulpe de citron et des feuilles de menthe flottent devant elle dans une carafe transparente. Elle oublie tout, ferme les yeux. Quand elle le sent derrière lui, au plus près, approché à pas mesurés, elle se tourne brusquement, colle son dos au plan de travail.
Il la considère, plus grand qu’elle d’une tête, trop proche d’elle, sans un mot. Elle baisse les yeux et voit l’antique nerf de bœuf qu’il tient entre ses doigts, saisi dans l’entrée. Noueux sous son manche de cuir sombre. Il a choisi celui des trois qu’il pouvait le plus facilement manier. Effilé, souple et flexible, en sa menace inégalée. Un frémissement lui comprime le ventre. La cinglance du fouet sur ses petites fesses blanches. Vierges de toutes marques depuis deux semaines que la maison ne désemplit pas.
Et pourtant, il l’avait prévenue. Un écart, une irrévérence auprès du cousin de son ami de jeunesse, auprès de cet hôte imprévu qu’elle ne peut pas encadrer, une pique, et elle le paierait sur l’heure au bombé de sa chute de reins. Il la corrigerait sans attendre, maison remplie ou non. Elle avait compris l’effet de sa mise en garde, s’était mordue l’intérieur des joues quand l’occasion s’était présentée, si tentante. Mais quoi ? sa morsure avait été si petite ! Son venin si subtil. Une remarque en passant, par personne remarquée. Elle l’avait risquée, pour le plaisir, innocente, volubile et charmante. Ensevelie dans ses paroles, souriant avec une telle franchise.
Lui, pourtant, l’avait regardée à l’instant même, et l’infléchissement de son sourcil lui avait fait comprendre qu’il ne lui passerait rien. Pas même le bénéfice du doute.
– Tourne-toi, Lila.
Sa voix. Cette liquéfaction dans son cœur, en entendant le calme de ses inflexions. Lorsqu’il a décidé quelque chose, pris sa décision, elle sait qu’elle ne pourra rien faire, rien, pour l’entraver. A peine une tentative pour retarder l’échéance. Elle aime tant son inflexibilité. Il est le seul qu’elle ne parvient pas à berner.
– C’était innocent ! proteste-t-elle doucement. Je t’assure que c’était innocent, il ne l’a pas pris pour lui, personne ne l’a pris pour lui ! rien d’ombrageux là dedans.
Elle serre la planche d’olivier dans son dos jusqu’à entrer ses ongles dans le bois. Le rebord du meuble la protège. Elle n’avait pas imaginé qu’il irait chercher ce fouet d’antan pour la punir. Il ne la prévient jamais assez correctement, aussi : elle y aurait mieux réfléchi bien sûr, à deux fois. Mais il est expert pour lui ménager la venue de ces moments où il ne lui reste plus qu’à vaguement négocier et à se mordre les doigts.
– C’était juste une plaisanterie, achève-t-elle, à bout de raisonnement.
Elle voit le demi-sourire qui flotte sur ses lèvres. Elle reconnait ce sourire, celui qui s’amuse de la crédulité proclamée de son innocence. Celui qui ne la laissera pas en paix jusqu’à temps que soit résolue la situation comme il l’entend.
– Tu étais prévenue. Tourne-toi.
Il n’a pas haussé la voix mais son ton s’est fait plus incisif au terme de son injonction répétée. Elle sait qu’il est très sensible à ce qu’il nomme l‘acception de la punition quand il commence une correction – elle ne veut pas se risquer à se heurter frontalement à lui.
– S’il te plait… continue-t-elle. Pas ici… pas maintenant… n’importe qui peut jaillir sans crier gare, avant le déjeuner…
Gagner du temps. Elle n’a plus rien à perdre ; au contraire, tout à gagner. Elle résiste, sous couvert de son humble prudence. Il ne tient pas compte de ses yeux remplis de supplique, la prend au coude pour la faire pivoter. Elle relève son regard changé, de biais ; se raidit pour ne pas se retourner.
– Attention à toi, Lila.
Elle se mord les lèvres. Il sait bien qu’elle joute, sans cesse. Elle renverse la tête en arrière, rouvre soudain les yeux dans l’éclat du cri qui monte depuis l’escalier de la piscine, au-dehors. Une cavalcade de voix, lancée vers eux. Elle se suspend. Le nerf de bœuf aussi, dans la fraicheur de la cuisine.
– Dans la cuisine, la citronnade ! entendent-ils claironner du milieu vrombrissant de l’air plein de cigales. Lila te l’a préparée. La porte-fenêtre, près de l’entrée !
Des pas s’approchent. Un sourire en bouffée assaille son visage, qu’elle contient mal. Il lâche son coude, elle murmure comme une victoire qui cherche à l’amadouer par la modestie de son triomphe.
– Stan, c’était innocent… ça l’était, crois-moi…
Il appuie d’un doigt sur ses lèvres pour la faire taire.
– Ne te crois pas à l’abri. Tu seras punie avant ce soir. Tu le seras, crois-moi…
– Puisse le dieu de la citronnelle t’être favorable, pouffe-t-elle en entendant la porte d’entrée s’ouvrir à nouveau, dans la certitude de son impunité.
Elle se sent retournée en un instant, appuyée sur le plan de travail sans égards. Avant d’en sentir la brûlure, elle entend le claquement puissant de sa main tomber trois fois sur ses fesses à travers le tissu blanc, aérien, de sa robe échancrée. La porte de la cuisine est poussée ; elle cille, les joues vermeilles, s’empare de la tarte devant elle pour contenir son allure vacillante, se redresse le plus naturellement du monde. Près d’elle, il s’appuie tranquillement au sol, les deux mains posées sur le nerf de bœuf comme sur une canne coutumière.
To be continued… <3
20 août 2023 à 09:50 #89340Anonyme
InactifQuel beau texte, quelle poésie, j’ai hâte de lire la suite.
20 août 2023 à 15:56 #89358Victor
ParticipantSuspense…
Je n’avais jamais lu de recette de tarte si alléchante. Belle plume !
Joli montée, bel amuse gueule. Vivement une fessée un peu plus longue !
21 août 2023 à 08:21 #89379Nush
Maitre des clés &
fouetteuse en talons hauts et bas résillesUn récit délicat à lire en dégustant lentement la chair des….abricots.
Merci Abi pour ton talent et de nous le partager.
Gourmandise(s).
Car le feu qui me brûle est celui qui m'éclaire .
21 août 2023 à 11:14 #89386Marion lune rose
ParticipantTrès beau texte , on sentirait presque les odeurs de cette tarte nous aussi , quelle délicieuse attente aussi de cette fessée hihih.
Je ne recherche pas de fesseurs ,
Merci d'en tenir compte.25 août 2023 à 10:59 #89471Abi San
Participant2 …
Le repas était largement entamé. A l’ombre des pinèdes, on terminait le vin débouché avec le fromage : il avait ouvert son vin de Terrasses du Larzac – La Sauvageonne. Il avait goûté, bien entendu, à la description que lui en avait fait le sommelier, lorsqu’il l’avait découvert pour la première fois : « une poigne de fer dans un gant de velours ».
Cette bouteille-là, il pouvait la servir à tous les repas. Lorsqu’il la tenait en main, qu’il la saisissait au cou pour en faire jaillir le bouchon, caressant et brutal à la fois, elle ne pouvait empêcher ses instincts à elle de se réveiller : son penchant mutique pour les sauvageonnes – il fallait bien qu’elle le flatte, à son tour, s’il aimait tant cela.
Elle lui avait jeté plusieurs coups d’œil à la dérobée ; elle aimait le voir parler, répondre à ses voisins sans se départir de sa mesure, lorsqu’elle savait, elle, ce qui occupait son esprit. Ses gestes empreints de calme, ses réparties courtoises, toujours impeccable envers tous : dans sa manière qu’il avait de ne pas s’occuper d’elle, dans ces moments où planait l’imminence de la sanction, elle ressentait avec plus d’acuité encore combien elle était le pivot resserré de son attention à venir.
Elle aimait sa double face : le visage qu’il lui montrait à elle. Le contraste entre sa tempérance parfaite à l’extérieur et sa dureté à l’intérieur. Elle le voyait, la flexibilité de son nerf de bœuf à la main, debout dans le vestibule, qui irait toujours au bout de ce qu’il avait énoncé, qui irait toujours au bout pour elle ; et son cœur battait en le regardant sourire aux convives à table, son Château La Sauvageonne à la main.
Il y a quelques instants, elle lui avait glissé à l’oreille, en se penchant.
– Aucune incartade de tout le repas, tu remarques ?
Il n’avait pas relevé.
Dans la corbeille à pain, elle avait pris un morceau de tourte de seigle, l’avait fait tourner entre ses doigts.
– Tu vois que ce n’était rien, tout à l’heure, avait-elle insisté. Tu renonces à ta peine ?
Cette fois, il l’avait gratifiée d’un bref coup d’œil.
– Non.
La sobriété de son laconisme l’irritait aussi prodigieusement qu’il lui faisait monter le sang au cœur, par ce qu’il présageait de manière allusive.
Elle se détourna vers son voisin de gauche, tendit son verre. Elle commençait à se sentir éméchée, dans la chaleur de l’air qui appuyait sur ses tempes. Roch, c’était l’un des amis de jeunesse de Stan : elle aimait l’écouter parler de l’art contemporain, expliquer comme Joseph Beuys, Marcel Duchamp, Salvador Dali, avait intégré leurs propres portraits à leurs œuvres au service d’une mythologie personnelle photobiographique, pour faire de leur simple présence une évocation créatrice.
– Tu es sûre, Lila ? hésitait Roch en riant. Dans mes souvenirs, tu préférais tremper tes lèvres dans les calices plutôt que dans les vins de table.
– Oui, oui, si je t’écoutais, tu ne me servirais que du Perrier. Abreuve ma soif – et continue sur Yves Klein.
Elle but presque d’un trait le breuvage rouge qui s’épaississait lentement dans ses veines ; elle sentait sourdre en elle une sédition grandissante, qu’elle peinait à réfréner. Elle essayait de ne pas écouter le cousin, en bout de table, dont chaque intonation, pleine d’étroitesse et d’obstruction, venait la mordre à la pulpe du cœur.
Cela alors, c’était un peu fort. Se recevoir une cinglée à l’ancienne pour un murmure bruissé, un souffle de répartie émis à l’arrière, en passant, à peine remarqué, pas même relevé. Être enserrée dans la menace du fouet, du fait d’un misérable, au caractère de barbon de Poquelin mal dégrossi.
Elle prit une branche de groseille sur l’un des plateaux de fromage, mit lentement les petites baies purpurines, une à une, dans sa bouche. Elle voyait Emmanuelle, la femme de Roch, sourire là-bas aux propos du cousin, qui déclamait d’un air confit en se servant une part de tomme de la vallée de l’Ubaye.
Une figue, ouverte comme un éclat d’écarlate, décorait le plateau auprès du Banon entamé, chèvre affiné dans ses feuilles de châtaigniers, sous son brin de raphia.
A défaut de se boucher les oreilles pour ne pas flancher, elle s’absorba dans la contemplation des fromages. Une fourme d’Asco, venue droit de Corse. Un Picodon des Cévennes, entouré de fleurs d’aubépine. Et ce fromage sans nom, rapporté des rives de l’Adriatique parce que Stan l’avait apprécié. L’étiquette disait : « Fromage de lait de vache à la truffe noire » ; elle n’aimait pas ne pas avoir d’appellation sur son plateau, mais elle l’avait toléré.
Le cousin se resservait en déblatérant ses pontifes. Lila interrompit brusquement Roch qui s’était lancé pour elle sur le rapport de Courbet à l’argent.
– Regarde ta pauvre femme, indiqua-t-elle en aparté, pour ne pas que Stan la surprenne. Contrainte de subir ce type. Comme il semble être né pour qu’on le remette à sa place. Insupportable.
– Ne t’inquiète pas, elle est habituée, Aymeric nous le ramène parfois à la maison : il l’amuse.
Elle hocha la tête, ne se contint plus, se tourna de côté pour toucher le bras de Stan.
– Tu l’entends n’est-ce pas ? Je sais ce que tu penses de lui. Fais-moi justice.
– Qu’importe, ce que je pense de lui. Nul ne s’assied à ma table pour y être raillé. Encore moins par toi.
– S’il déraille, n’est-il pas opportun de le re-railler ?
– Essaie seulement.
– Je n’ai rien dit contre lui de tout le repas alors qu’il brûle mes lèvres dès qu’il ouvre les siennes. Et toi, tu ne saluerais pas cet effort ? Renonce à ta peine.
– Lila. Encore une négociation et je double ta punition.
Elle avait contenu son dépit, s’était tu, un moment, se noyant dans sa dernière gorgée de Sauvageonne. Elle avait senti l’aiguisement pointer sur sa langue, s’effiler. Sortir d’elle enfin, comme un glaive affûté, sans plus réussir à garder sa réserve au fourreau. Elle se vengeait, à travers l’insignifiance de cet homme, de son absence de prise sur la situation que Stan lui imposait. Une manière de se dire à elle-même qu’elle gardait la main, malgré ce qui la surplombait.
Elle ne s’attendait pas néanmoins à ce que sa sortie soit si bien saluée. Un rire unanime accueillit sa remarque à travers la tablée ; la bienséance d’une contrariété réprimée passa sur le front du cousin.
Son succès la dépassait. Visé, mouché. Plus de doute à alléguer. Elle n’osa pas croiser le regard de Stan, qu’elle redouta à cet instant. Elle chercha à se faire oublier, proposa du fromage de ses intonations légères, se leva pour emporter le premier plateau. Elle entendit la chaise voisine se pousser, celle de Roch, penché vers le second plateau, retenu par la voix familière de Stan, brève et nette.
– Laisse, je t’en prie. Je m’en charge. Je reviens dans un instant.
Elle frémit, dans l’ondulation de sa marche vers la cuisine. Il y avait une intonation sans appel dans sa voix, comme un timbre coupant, résolutif. Elle n’osa pas se retourner pour constater qu’il la suivait ; des pas foulaient le sentier à sa suite. Elle aurait bien fait demi-tour pour reposer son plateau à elle dans les mains de Roch. Elle soulevait la poussière ocre sous la corde de ses espadrilles, dans l’allée jonchée d’épines de pin, semblables à des brins de romarin. Quelle double erreur elle avait faite. Partir de table, et partir seule. Il n’avait plus qu’à la cueillir dans la maison. Il n’allait pas tout de même l’entreprendre là, entre le fromage et le dessert, en plein repas avec ses convives.
Elle parvint aux persiennes bleues de la cuisine, les entrouvrit pour se glisser par la porte-fenêtre. Ne pas lui donner d’idées en passant par l’entrée. Elle posa le plateau sur le plan de travail, voulut se hâter, se saisit aussitôt de la tarte posée sur la cuisinière pour sortir au plus vite du piège de cette pièce entrefermée.
Elle manqua se heurter à lui, qui passait la porte-fenêtre. Elle voulut achever sa diversion, lui dire qu’il y avait la corbeille de nectarines à prendre, et la glace de la laiterie, mais l’assurance de sa voix vrilla dans sa gorge ; elle resta figée devant son expression. Il prit son menton, entre son pouce et son majeur, la fit reculer lentement, referma d’une main les persiennes derrière lui.
– Repose cette tarte, Lila.
Elle cilla dans l’ombre de la cuisine, perdue, les mains accrochées au rebord de son plat en céramique. Elle sentit les doigts de Stan serrer plus fort le bas de son visage.
– Nous allons reprendre notre conversation ; de la bonne manière, cette fois.
– Mais… protesta-t-elle, incertaine.
– Libre à toi de réfléchir rapidement à ta manière d’obéir. Avant que la longueur de ton absence ne devienne suspecte.
Elle abdiqua, obtempéra, posa la tarte pleine d’abricots entre les plateaux de fromage ; elle ne sut pas très bien quoi faire de ses bras après cela, les croisa dans son dos, sentit le bois du plan de travail lui rentrer dans les reins comme elle reculait pour échapper à l’emprise qu’il imprimait sur elle. Il avait libéré son menton.
– Donc, où en étions-nous, avant le déjeuner ? tu disais : simplement, une plaisanterie ?
Elle entrouvrit les lèvres, analysa la situation au plus rapide. Elle n’avait plus de marge de jeu et elle avait sauté sans filet. Elle l’avait tellement remonté qu’elle se trouvait maintenant coincé dans la cuisine avec lui, en plein repas.
– Je t’écoute, Lila. Tu parlais de ton innocence, je crois.
Elle se saisit de sa bouée ultime.
– Excuse-moi, prononça-t-elle, douce et prudente.
Il leva un sourcil.
L’amadouer. Dans cette lancée fortuite. Le surprendre par l’inhabituel.
– Je m’excuse, Stan, continua-t-elle, pleine de sobriété, loin de sa théâtralité habituelle. Ça a dépassé ce que je voulais, je ne sais pas ce qui m’a prise.
Il l’écoutait et parfois, elle pouvait le prendre comme cela, dans le filet de ses paroles. Seulement, ne pas s’interrompre : ne pas lui laisser le loisir de réfléchir, le loisir de couper court.
Si elle réussissait à parlementer assez longtemps, il la renverrait une seconde fois, saine et sauve, vers le dessert.
– Je ne sais pas, au juste… c’est ton vin, dans cette chaleur. Il m’est monté à la tête.
– Mon vin ? repéta-t-il, et l’ironie dans son intonation fit craindre à Lila qu’il ne renoue trop promptement avec le fil de son dessein.
– Tu n’avais qu’à mettre un Chardonnay, comme tout le monde : toi aussi, tu as voulu faire suer le cousin tradi ! Au lieu de cela, avec ta Sauvageonne, à quoi t’attendais-tu ? Tu l’as servie, eh bien, tu l’as eue ! Je me suis lancée dans ta lignée – tu ne peux pas me reprocher ce que tu suscites.
– Ce que je suscite ?
Il la considérait sans cesser de l’oppresser de sa trop grande proximité. Elle se mordit la lèvre inférieure, n’insista pas davantage.
« Dis-moi de reprendre cette tarte, pensait-elle en masquant tout signe d’impatience. Cette situation traîne en longueur : pendant ce temps, le cousin jubile de pressentir que tu m’admonestes en cuisine. »
– Au fond, tu as raison, Lila : j’aime le rouge, autant dans les robes de vin de table que sous ta robe lorsque tu t’assois à table. Tu vas être servie, toi aussi : tourne-toi, penche-toi ici.
Il tapotait d’un doigt sur le plan de travail. Elle frémit ; une vague ondula dans son ventre. Elle ne pensait pas qu’il se déciderait ici, et maintenant ; encore moins après ce temps passé à tergiverser. Le nerf de bœuf passa sur sa mémoire, devint soudain tangible.
Il frappe fort. Déjà, quand il n’est pas en colère, il frappe fort. Maintenant, je regrette cette détermination née dans son regard et j’ai envie de me jeter dans ses bras pour lui demander pardon ; fermer les yeux, blottie entre ses épaules. Mais il me remplit l’estomac de volutes qui s’entrechoquent, parce que je sais que le cap est passé.
– Je vais crier, je te préviens. Tu as envie que tes amis entendent ?
– Nous verrons cela.
Faire diversion, tant qu’il est encore prêt aux réponses, aux entourloupes.
Continuer sur ses élans, en inspirations successives.
– Attends, risque-t-elle en guise de justification ultime. Tu es conscient, n’est-ce pas, que ton intransigeance m’a poussée en avant ? Si tu ne m’avais pas menacée pour rien, tenu mordicus à cette exécution publique en cuisine alors que je n’avais quasiment rien dit encore, je n’aurais pas continué plus loin. Mais à table, tu m’as poussée à bout. J’ai pensé : puisqu’il tient à jouer avec ses nerfs, au moins, qu’il ait un vrai motif.
– Nous y voilà, Lila. Ce qui survient, c’est à cause de mon vin ; et si je comprends bien, au bout du compte, de mon propre fait ?
– Exactement.
Sa main vient retourner son visage avant qu’elle n’ait le temps d’achever sa réponse.
Il n’a pas la gifle facile, ce qui implique qu’elle ne les voit pas toujours venir : celle-là l’a cueillie au vol, elle n’a rien vu arriver.
– Aoutch, murmure-t-elle, se prenant la joue gauche dans le creux de sa paume.
– C’est mieux, Lila ? Dégrisée ? Tu te sens prête à assumer ?
Elle se frotte la joue sans répondre, dans l’intimité zébrée que jettent autour d’elle les persiennes toujours fermées.
– Ta main, derrière le dos.
Elle relève ses yeux de méditerranée, limpides, presque étonnés de la menace dont il l’enveloppe.
– Mais…
– Derrière le dos.
Elle abaisse doucement sa main pour ne pas aggraver son cas, glisse son bras dans son dos, contre le bois d’olivier.
– La première pour tes allégations sur mon vin. La seconde…
Elle ferme les yeux, résiste à l’envie de tourner son visage de côté, se prend la seconde gifle avec deux fois plus de force que la première, sur l’autre joue.
– La seconde, pour tes allégations sur ma responsabilité dans tes initiatives personnelles. Et maintenant, en position.
– Stan…
– Si tu tiens à m’aviser que n’importe qui peut survenir dans cette cuisine pendant le déjeuner, je suis au courant, tu peux t’abstenir ; tu ne t’en sortiras pas une nouvelle fois.
Elle rend les armes. Il parvient toujours à imprimer peu à peu dans son mental que ce qui survient est inéluctable. Elle se tourne avec lenteur, s’enfouissant sans retenue dans cette délectation qui la submerge toujours, du plus profond d’elle-même, quand elle plie : ce sentiment jouissif, libérateur, que ce qu’il lui inflige est mérité ; qu’elle va recevoir, de sa main, la juste punition de ses débordements.
Elle avance ses coudes en appui sur le plan de travail, étend son ventre sur le bois, contrainte de se mettre en équilibre sur la pointe des pieds. Elle entend le rire des convives en contrebas, les tintements de verre dans le vacarme des cigales. Elle songe : « qu’il en finisse, avant que quelqu’un ne vienne s’enquérir de la situation. »
Elle le sent remonter sa robe, Elle porte un maillot de bain blanc, en macramé, taille haute, échancré sur ses fesses. Assez échancré pour qu’il puisse amplement la corriger en lui laissant en place. Mais elle sent sa main abaisser les mailles, la dénuder entièrement. Elle frissonne, dans sa nudité exposée. Elle sait ce qu’il voit – ce qui affermit sa résolution. Le blanc de sa peau, parfaitement uni, à l’exception de ce hâle de bronzage au haut de la courbe de ses fesses, qu’elle garde d’année en année.
Elle incline la tête, pose sa joue sur le bois d’olivier. Elle l’entend s’éloigner dans l’entrée.
Elle pense qu’elle est en fâcheuse posture, mais face aux persiennes : si quelqu’un venait à entrer dans la cuisine, elle n’aurait qu’à se redresser pour faire retomber sa robe sur ses fesses, dissimuler par la même occasion son bas de maillot de bain baissé aux cuisses.
Elle est tendue mais elle reste en place, pour son retour : elle espère toujours, lorsqu’elle tient ses positions, que cela l’influencera, le prédisposera imperceptiblement en sa faveur.
Elle sent la moiteur dans ses mains, enfonce ses poignets dans les boucles de sa chevelure.
Comment n’a-t-elle pas pensé à prendre ces nerfs dans le vase avant le déjeuner, à les cacher derrière n’importe quel meuble ?
Il pousse la porte de la cuisine, depuis l’entrée.
Elle entend ses pas traverser la pièce, s’arrêter juste derrière elle ; elle retient son souffle.
Elle attend le chassement dans l’air, le sifflement net avant l’impact ; avant la ligne de brûlure.
Elle ferme les yeux.
21 décembre 2023 à 21:21 #91636Anonyme
InactifLes deux parties sont super et bien écrites !
11 juillet 2024 à 10:45 #96744Abi San
Participant3…
[Parce que l’été revient toujours à temps, retour dans la cuisine de Stan et Lila, dans les odeurs de tarte à l’abricot et l’assourdissant vacarme des cigales – Cf parties précédentes ci-dessus]
Elle ferme les yeux.
Rien ne vient.
Seulement cette tension qu’elle pourrait palper dans l’air, aimantés l’un à l’autre dans cette électricité qui lui vient de sa présence dans son dos. Elle n’aime pas attendre ainsi, livrée, sans savoir ce qu’il lui réserve. Il lui parait trop en colère pour seulement admirer son cul, comme il le fait parfois, avant de s’occuper d’elle. Alors ? Elle se creuse la tête, sans esquisser de mouvements qui trahiraient le fil rétif et délicat de son impatience. Et leurs convives qui attendent. Qu’il en finisse, bonne mère des pins !
Elle se mord la lèvre inférieure, s’attend à ce qu’il pose le nerf de bœuf à plat sur le bombé de ses fesses : il lui arrive d’agir ainsi, pour lui annoncer la prise en main d’un instrument qu’elle ne peut distinguer. La faire frissonner, dans l’effleurement de la sensation esquissée.
Ou bien, il va faire jaillir de sa réserve le laïus qu’il lui destine : sa petite homélie de réprobation, sur ses outrances en matière d’irrévérence ; il médite sur la série qu’il va lui faire endurer, sur sa douzaine qu’il va, naturellement, lui imposer de compter. Sa petite marotte personnelle, les douzaines. Combien ? Une. Elle mise sur une douzaine. Ils sont coincés dans la cuisine, une tablée entière qui les attend au grand jour. Il n’osera pas deux séries. Il a déjà gagné : une douzaine de dissuasion, marquer le coup entre deux plats ; il ne le lui a jamais fait, ce coup-là. Et s’il avait voulu lui administrer deux douzaines, il aurait déjà commencé.
Elle penche sa nuque en avant ; que fait-il, nom d’un grillon ? Elle se mord plus fort la lèvre.
Ce qu’elle ignore, c’est qu’il retient son bras. Un instant, de la même manière qu’il suspend puis laisse aller son souffle. Pour ne pas se laisser emporter par la colère qui l’a envahi. Pour atténuer l’impulsion correctrice qu’elle a ouvert en lui à table, devant la légèreté outrancière de ses attitudes. Pour contenir le désir mordant de l’avoir à sa merci, sous sa main, de la fouetter jusqu’aux larmes, jusqu’à la jonction atteinte d’un vrai repentir. Il oscille entre la vision provocatrice de ses fesses immaculées et l’appel de la prudence qui lui est nécessaire lorsqu’il la corrige sur le vif, dans le piège justicier de son agitation.
Elle ne va pas l’encourager tout de même à lui mettre une rincée. Qu’il se décide ! Aujourd’hui, sur ce plan de travail enfariné, elle n’a pas l’intention de tergiverser : elle est déjà prête à compter sa dizaine sans moufter, dès le premier coup, sans aucune de ses réticences habituelles. Elle se sent cerclée par sa détermination, entourée par sa résolution : qui d’autre que lui, pour la corriger en plein repas, à la suite même de son incartade ?
Mais rien ne vient, et des frissons lui traversent les fesses. Elle pose sa plante des pieds incurvée l’une dans l’autre, balance son cul de côte et se redresse très légèrement sur les coudes.
Elle pressent que ce silence n’augure rien de bon.
Qu’importe ; elle a basculé, dès cette attente qu’il lui inflige. Elle se sent se détacher, flotter, hors de ce lieu, hors de ce moment, loin de cette situation : elle entre dans sa sphère, s’enfonce dans leur bulle à eux – dans cet espace nébuleux, si puissamment palpable pourtant, où plus rien n’a d’importance : ni le temps qui s’écoule, ni la réalité des convives. Il possède ce don de l’emporter, liée à lui, sur des hauteurs qui l’arrachent à tout.
Elle n’a pas le temps d’enregistrer ni d’encaisser la strie aigüe du premier coup qui tombe sur ses fesses ; elle a entendu l’air se fendre en même temps que s’est ouverte dans sa chair la brûlure qui l’a irradiée. Le second coup est déjà tombé et elle s’appuie de tout son poids sur le ventre, le souffle coupé. Elle ne tiendra pas, elle ne tiendra jamais. Le nerf effilé frappe comme une badine inflexible, comme du rotin boisé qui se heurte à elle plutôt qu’il ne s’enroule sous ses reins : il n’a pas la souplesse du jeune cuir huilé et bien entretenu, à se durcir dans son vase décoratif depuis plusieurs décennies.
Stan l’embrase. Elle le connait si intimement et pourtant elle ne s’attend jamais à ce qu’il frappe si fort, d’entrée de jeu ; il frappe de la force lancée de son bras, elle frappe déjà du pied à la troisième fois. Un cri lui a échappé, elle se redresse. Quatre, elle n’a pas encore levé sa jambe vers l’arrière ni jeté sa main en travers pour se protéger mais les larmes affleurent dans ses yeux. Cinq, elle compte dans sa tête, se mord l’intérieur des joues jusqu’à la pulpe. Elle ne tiendra jamais jusqu’à douze. Six, sept, elle aurait préféré qu’il la fasse compter, qu’il la laisse enrayer le rythme au son de sa voix, chiffrer lentement pour le retarder, lui éviter la ligne rouge intenable, ininterrompue, de cette cinglée. Il fouette à la suite sans un instant de répit, elle a la sensation que son cœur va sortir de sa poitrine. Huit, neuf, elle tire ses cheveux entre ses mains, son dos cambré ruissèle de sueur, elle crie désormais sans retenue, à chaque ligne incandescente fouaillée sur sa chair, pour lui signifier qu’elle ne tiendra pas plus d’une douzaine : influencer sa résolution, s’il hésitait à se lancer ou non dans une deuxième série. Lui signifier qu’elle est à bout. Dix, sa main est partie en arrière pour agripper le rebord du plan de travail ; elle bat sans discontinuer de la jambe droite. Onze, douze, elle éclate au cinglé de son cul.
La treizième strie survient sans discontinuer ; elle étouffe la cassure d’un gémissement qui barre sa gorge, se laisse déborder : il commence une deuxième série, sans l’ombre d’une hésitation. Elle perd pied, sanglote, se retourne soudain d’un bloc, se prend une cinglée sur l’avant de la cuisse gauche, hurle en se pliant sur elle devant lui ; elle a titubé, droit sur lui pour s’accrocher à sa poitrine. Il la prend par le bras pour l’écarter. Il a le fouet noueux en main et il ne sourit pas.
– En position, Lila, dépêche-toi.
– Attends, attends, d’accord ! d’accord, mais… combien de douzaines ? combien ? Pourquoi une deuxième ? Je ne tiens pas, Stan, tu frappes trop fort ! Tu frappes trop fort dès le début. Si tu veux que je tienne, il faut que tu frappes plus doucement !
Il ne répond pas, il l’a déjà retournée sur la table. Il appuie au bas de son dos pour imprimer son ventre sur le bois du plan de travail. Il dégage sa main qu’elle avait entrelacée à la sienne.
Elle gémit : elle cherchait à le retenir dans son étreinte pour empêcher l’élan de son bras, qu’il prend, si net, quand il est à deux pas d’elle.
– Je ne tiens pas, Stan, je ne tiens pas…
– Tiens-toi bien. Tu vas endurer ta punition jusqu’au bout, Lila. La prochaine fois, tu tiendras peut-être ta langue.
Il a repris la volée, et elle ne compte plus. Chaque ligne de feu la traverse comme un sursaut. Elle lutte pour ne pas mettre sa main ; ses deux mains pour protéger ses fesses. Il va tellement fort et vite. Il doit arriver au terme de la deuxième douzaine. Elle enfonce ses ongles dans le bois d’olivier de la table, compte pour tenir – trois, quatre, cinq. Ce n’est pas possible, il a commencé une troisième douzaine : s’il l’a commencée, il l’achèvera. Elle ne peut plus, elle… elle ne parvient pas à attendre qu’il cesse de lui-même la punition. Elle met sa main au creux du dos, prend un coup sur ses doigts, crie de douleur dans un spasme qui la fait ployer sur son coude.
– Ta main !
Elle ne la retire pas, au contraire, elle s’empêche de la ramener dans le creux de sa poitrine pour la secouer et souffler sur ses phalanges meurtries : elle sait qu’il ne la frappera pas une deuxième fois sur les doigts. La seule chose qui compte en ce moment est qu’il suspende son bras pour faire cesser le brasier qu’il allume sur ses fesses. Abolir cette sensation, déflagrée jusqu’aux plus graciles nervures de sa chair, de mur et d’incendie éclatant ensemble sur son cul.
Le nerf fouette le haut de ses cuisses à la volée.
– Aoutch ! Stan ! halète-t-elle, décomposée, la bouche pleine de ses cheveux qui se collent à son visage.
Elle tient toujours ses mains ramenées l’une dans l’autre, en travers de ses fesses ; elle se redresse, renverse la tête en arrière et, ses longs cheveux recouvrant sa chute de reins, elle danse sur place. Une deuxième cinglée la cueille sur les deux cuisses. Elle se retourne d’un bloc, lui fait face et les larmes coulent sur ses joues.
– Je ne peux plus ! excuse-moi, Stan, je t’en supplie, je regrette ! Excuse-moi ! je t’en prie ! J’ai eu tort de le remettre à sa place, je m’excuse !
Elle a joint ses deux mains devant lui comme pour le repousser.
– Retourne-toi, Lila. Tout de suite. Fais mine de te protéger encore une fois et je te rajoute le double de ce que je viens de te donner.
– Stan ! Stan ! attends… tu me brûles…
Elle sanglote, la tête dans le coude, mais elle a repris doucement sa position sur le bois, le ventre allongé sur la table, ses mains jointes tendues en avant, ses fesses présentées, incurvées, par-dessus ses jambes et ses pointes de pied tendues.
Les fouettées pleuvent de nouveau sans interruption ; elle se cambre, sanglote sans retenue. Chaque ligne semble recouvrir la précédente pour s’enfoncer plus avant en elle. Jamais il ne l’a fouettée avec une telle rapidité. Et soudain, les cigales lui rentrent dans les oreilles. Il a cessé. L’air de la cuisine l’enveloppe dans la chaleur du jour, entoure son corps pulsatile, passe sur ses fesses exposées. Elle rouvre les yeux, l’entend s’éloigner, passer la porte du vestibule, déposer l’antique nerf de bœuf à sa place et revenir dans la cuisine. Son cul l’irradie. Elle n’endure pas la dureté du bois. C’est le prisme le plus refermé, le cercle le plus clos, la rétribution la plus punitive dont il puisse l’entourer. Ce tendon tressé nourrit en son animalité la dureté rigide du bois.
– Tu vas réajuster ta robe convenablement, essuyer tes larmes et prendre ton plus beau sourire en même temps que ton courage à deux mains. Je veux que tu serves un à un chaque convive, des parts de ton dessert : tu commenceras par le cousin d’Aymeric.
Elle se mord la lèvre, vaincue dans toutes ses résistances ; elle a envie de sangloter dans ses bras mais sa colère à lui n’est pas tombée. Il est venu devant elle, il ne l’enserre pas contre lui ; il lui redresse le visage par le menton.
– Je n’en ai pas fini avec toi. Puisque nous sommes attendus pour le dessert, je m’arrête à cette punition brève, de pure circonstance. La suite t’est réservée pour ce soir.
Elle a mis sa main sur ses fesses. Le haut de ses cuisses la brûle. Il lui semble recevoir encore des cinglées à chaque mouvement esquissé par ses jambes. Elle pense fugacement qu’elle ne pourra pas se mettre en maillot de tout l’après-midi. Ni demain ; ni après-demain.
Elle le voit prendre les glaces dans le bas du réfrigérateur. Elle remonte son maillot, fait une grimace en faisant glisser les mailles au cuisant de sa peau. Elle aurait préféré qu’il l’embrasse, qu’il remette lui-même son maillot en place, qu’il admire ses fesses striées par sa main. Qu’il l’enveloppe, après cela, de son sourire retrouvé. Mais elle a le cul écarlate et il n’est pas satisfait. Elle fait durer un peu ses gestes pour lui laisser le temps de venir regarder son cul, de venir caresser sa peau, l’enserrer si fort dans sa poigne refermée, comme il en a l’habitude. Mais il ferme la double porte du réfrigérateur, les mains remplies, et se dirige vers le dehors. Elle serre les lèvres de mauvaise grâce, fait retomber sa robe avec dépit.
– Je préfère ta ceinture, lâche-t-elle à contrecœur. Je la tiens mieux.
– Oh, mais tu l’auras, Lila. Ce soir, sur tes jolies marques du jour. Je gage que tu la sentiras passer.
Elle a essuyé d’un revers de bras les larmes sur son visage ; elle se résout à se saisir de la tarte comme il passe la porte. Elle approche du seuil, le plat de céramique dans les mains ; il s’est retourné.
– Il va sans dire, Lila, que j’attends tes excuses, de manière audible, en servant le cousin : tu sauras les lui présenter devant tous, avec la même grâce enjouée dont tu l’as gratifié tout à l’heure devant toute la tablée.
Elle a blêmi
– Stan… je t’en prie… pas cela… tu… ils vont comprendre que…
– Tu pensais pouvoir y échapper ? Tu vas le faire, et tu vas le faire correctement. Moi, je vais me rasseoir à table, me servir un verre de vin et me délecter à t’écouter : formuler tes excuses, les fesses couvertes de marques sous la légèreté de ta robe.
Le soleil les inondait. En contrebas, dans la pinède, à l’ombre du grand jour, les convives étaient maintenant visibles.
– Stan, je… jamais, je… je n’y arriverai jamais ! Tu… est-ce que tu…. tu atténues la ceinture si je te suis docile ?
Il nota avec plaisir qu’elle avait employé le terme atténuer, et non pas renoncer ; que sa tractation était à la hauteur sans doute de la conscience qu’elle avait de de son tort. Il eut presque la faiblesse de vouloir lui caresser la joue ; si ses deux mains n’avaient pas été prises, il se serait laissé aller à cet attendrissement.
– Bien sûr que non, Lila. Ta docilité n’enlève rien à la suite de ta punition. Mais si par merveille tu t’abstenais de le faire, et de le faire de manière nette et courtoise, tu auras gagné d’aller rechercher toi-même ce soir un nerf de bœuf dans le vestibule : 50 nouvelles stries. Bien appliquées sur les premières, en rétribution ; avant de recevoir la ceinture.
Elle ouvrait la bouche comme pour prendre l’air. Il l’acculait au plus extrême. Impossible de jouer. Elle se sentait cerclée par sa main comme par un triple anneau de fer. Toutes ses entrailles contenues. Il était l’unique à travers son quotidien, à travers ses années du plus loin qu’elle s’en souvienne, qu’elle ne parvenait pas à manipuler pour gagner dans la joute, d’une manière ou d’une autre. Intraitable jusque dans les rouages les plus sûrs de son attachement. Cette force mentale miraculeuse à laquelle elle se confrontait avec toujours plus de délice. Une extase de plaisir renouvelée chaque jour au cœur de son quotidien. Elle le regarda, le désira avec une violence indicible. Désira qu’il la réduise, qu’il la rende sienne, qu’il la possède entièrement. Elle secoua la tête, joua sa dernière carte.
– Stan… Stan, attends. Tu lui donnes raison ? tu prends parti pour lui ? …Tu le préfères à moi ?
Il y avait une plainte dans sa voix et ses yeux s’étaient humidifiés. Elle le manipulait par ses émotions, il regretta de ne pas avoir gardé le nerf de bœuf à portée de main, comme canne de circonstance, pour lui apprendre l’inutilité de ses entreprises de sensiblerie.
– Cela suffit, Lila. Garde tes larmes pour ce soir. Je me fiche de ce badaud ; pas de toi : pas de ton petit comportement, que ce soit avec lui ou avec un autre.
Il s’était mis en route vers la table ; elle lui emboita le pas, déplora intérieurement ne pas avoir laissé ses lunettes de soleil emmêlées comme d’habitude dans ses cheveux. Elles étaient restées posées près de son assiette. Elle les aurait bien mises sur ses yeux pour ne pas s’excuser à nue devant le cousin.
– Je dois confesser, ajouta Stan en la laissant venir à sa hauteur, que j’apprécie beaucoup l’idée que tu fasses le service auprès de nos invités, après une punition, les fesses striées par ma main.
Une nuée flotta dans les entrailles de Lila. Il l’enveloppait de plaisir. Elle le sentit couler dans son entrejambe
– C’est trop extrême, Stan… si je n’y parviens pas ? Tu m’aimes trop pour renouveler une telle série, deux fois en un seul jour.
– Je t’aime trop pour te laisser t’en tirer aussi facilement.
Il s’effaça sur l’ocre du chemin, la laissa aller dans la pente et dans les épines de pins.
– Va devant moi. Que j’admire en pensée les lignes rouge vif si bien imprimées sur tes fesses. Et ta belle contenance devant tes invités après avoir été vertement fouettée.
*
[To be encore continued…]
🦗🌳🦗
11 juillet 2024 à 13:08 #96745Ame.masculine
ParticipantComme toujours…
Des mots qui s enchaînent si bien …
14 juillet 2024 à 11:19 #96807Eva
ParticipantJ’aime la façon dont tu distilles tes mots…du fruit au nectar, du nectar à l’essence. Tu en fais des élixirs.
Thérapeutiques ou magiques…sans nuls doutes tes textes ont du charme.
Petite alchimiste;)
Se révèle être "comme une boule de flipper,qui roule qui roule...".
- AuteurMessages
- Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.