Le manoir

Le manoir

Nous sommes au début des années 1900. À cette époque, il y a d’un côté le petit peuple et de l’autre les gens de la haute. Les femmes bien nées ne travaillent pas ; elles ne sont là, en fin de compte, que pour enfanter, se faire servir et gérer la maison pendant que monsieur va gagner l’argent du ménage. Les filles de petites gens, pour leur part, entrent dans des maisons bourgeoises au service de ces femmes.

L’une de ces maisons bourgeoises est sise au cœur d’un grand parc arboré, dont les allées parfaites témoignent d’un train de vie cossu. La vie dans ce manoir est régie par des règles strictes, auxquelles sont soumis tous les membres du personnel, quel que soit leur sexe, ainsi que tous les autres résidents. Le propriétaire des lieux fait office de juge mais aussi d’exécuteur de la sanction, lorsqu’il y en a une à infliger. Tout le monde vit donc dans la crainte du maître de maison, surtout le quatrième vendredi de chaque mois.

Au premier étage se trouve un couloir sombre, à peine éclairé par une petite fenêtre dont les carreaux colorés tamisent la lumière de l’extérieur. Ce couloir assez étroit mène au bureau de monsieur, devant lequel une alcôve héberge un long banc de bois aux pieds torsadés, recouvert d’un cuir brun et patiné par l’âge, sur lequel vont s’asseoir des séants frémissant à l’idée de ce qui peut leur arriver, réfléchissant à ce que monsieur pourrait leur reprocher. Sous la petite fenêtre un fauteuil « Dagobert » au velours vert comme un trône.

Ce couloir sombre du premier étage est le lieu du rituel mensuel des gages, craint par tous les habitants de cette demeure. Tous, non : la maîtresse des lieux a le privilège d’échapper à cette cérémonie qui rythme la vie de cette famille depuis la nuit des temps.

Donc !

Le quatrième vendredi du mois de juin, le couloir ainsi que le grand escalier qui le dessert résonnent des pas de madame, suivie de sa fille Eloïse (sortie de son pensionnat pour le week-end), du jeune jardinier de 19 ans (le même âge que la fille de la maison), de la jeune femme de chambre de madame, du valet de monsieur, du chauffeur, du majordome et de la cuisinière.
Madame s’arrête après avoir franchi le niveau de la dernière porte et se retourne vers les suivants. Alignés près du sofa comme des militaires en revue, ils attendent le signal de madame pour s’assoir. Cette dernière s’installe dans le fauteuil qui lui tend ses accoudoirs et fait un signe aux autres, qui s’asseyent inconfortablement sur le cuir à peine rembourré du banc.

Après un moment d’attente, monsieur ouvre la porte de son bureau, faisant signe à madame de lui envoyer la première personne. Généralement, les plus jeunes passent d’abord. Dans le bureau sont énumérés les bonnes actions, les bonnes initiatives mais aussi et surtout les manquements : travail mal fait, erreurs commises ou autres maladresse. Ces fautes sont alors corrigés comme il se doit.

De l’extérieur, on n’entend rien, mis à part les cris lors des corrections les plus sévères et appuyées, dont les hommes tout comme les femmes peuvent faire les frais. Il n’est pas rare de voir quelqu’un sortir en larmes, se frottant le postérieur, à la grande joie non dissimulée de madame, qui se fait un malin plaisir d’exagérer les fautes ou manquements. Il n’est pas rare non plus qu’elle tende l’oreille pour écouter les jérémiades et gémissements. Elle aime entendre sa petite femme de chambre pleurer et supplier monsieur d’arrêter. Bref, c’est une garce !

Mais ce jour-là, madame n’entend aucune plainte, madame ne voit aucune larme, madame n’aperçoit aucun signe de douleur fessière. Quoi, cette semaine, rien ?

La séance se termine et, à son grand étonnement, madame entend clamer son nom dans le bureau. D’abord pondérée, la voix se fait plus forte que d’habitude. Elle entend un…

« Olympe, ici tout de suite ! »

C’est la première fois que son mari la nomme par son prénom ! Elle s’empresse d’entrer dans le bureau.

« Moins fort, mon ami, moins fort ! »

Ce n’est pas la première fois que madame entre dans le bureau de son mari mais, étonnée d’y être convoquée, elle scrute ce dernier en demandant…

« Que me vaut cet honneur, mon cher époux ? »

Le bureau est toujours à la même place, les deux fenêtres ont toujours ces lourds rideaux verts, la grande cheminé couronnée des armoiries de la famille est toujours à la droite en entrant dans la pièce. Seul un canapé a changé de position. D’un geste de la main, monsieur intime à madame l’ordre de fermer la porte. Olympe remarque, derrière cette porte, le râtelier ouvert où sont accrochés les instruments de punition. Certains des crochets sont vides d’ustensile.

« Très chère, je vous somme de venir ici, devant le bureau. J’ai quelques récriminations à vous exposer. »

Le ton est hautain et sec. Madame est surprise par ces mots. N’est-elle pas la maîtresse de cette maison ?

« Ici tout de suite ! assène-t-il d’un ton brutal. »

Surprise, elle se place debout devant lui, comme une simple soubrette du manoir.

« Notre chauffeur m’a rapporté que vous lui avez ordonné de vous amener à la grande ville alors qu’il devait me prendre à la gare. Est-ce vrai que vous lui avez dit que je pouvais « aller me faire voir » et que la gare étant suffisamment près pour que je rentre à pied ?

– Hum…

– Le petit jardinier m’a pour sa part révélé que, quand son travail ne fut pas fait, il y a quinze jours, c’est parce que vous lui aviez demandé d’aller effectuer une course en ville pour vous.

– Eh bien à vrai dire…

Silence ! À quoi dois-je attribuer cette subite envie d’asperges ? Je parle de celles que vous avez réclamées à notre cuisinière pendant mon absence.

– J’avais en…

Rien du tout ! Les menus sont prévus en début de semaine et il n’est plus temps de les changer une fois le marché fait. Et depuis quand donnez-vous des ordres à mon valet ?

– Je vais vous exp…

Je vous ai demandé de vous taire, me semble-t-il ! »

Se rendant de l’autre côté du bureau, il fixe sa femme dans les yeux. Celle-ci tressaille de nouveau devant son époux. Son œil se fait inquisiteur. Il est visiblement exaspéré.

« Même votre petite servante m’a conté vos méfaits.

– Serait-ce une mutinerie de nos employés ?

– Oh non, madame. Cela fait un certain temps que l’on me fait entendre que vous avez une tendance à exagérer les faits pour que je punisse sévèrement le personnel ! »

À cette dernière phrase, elle frissonne, manquant de tomber. Ses jambes commencent à la lâcher ! Elle n’a jamais entendu son époux lui parler ainsi.

« Vous me faite HONTE, madame. Puisque vous ne savez pas vous comporter d’une manière digne de votre rang, je vais vous traiter comme le petit personnel. Veuillez ôter ces vêtements qui me coûtent si cher. »

Elle ne comprend pas, ne réagit pas et est fort surprise lorsqu’elle entend un « É – XE – CU – TION, Madame ! ». La robe tombe plus vite que l’éclair, atterrissant sur le sol comme une montgolfière, suivie des jupons de dentelle. Lui tapotant l’épaule de la pointe d’une des cravaches prise sur le secrétaire, monsieur ajoute :

« Ceci aussi madame ! ».

La voyant hésiter, il s’époumone :

« PLUS VITE QUE CELA ! ».

Les jambes d’Olympe flageolent : il ne s’est jamais comporté comme cela vis-à-vis d’elle.

« Vous n’allez tout de même pas… »

Il ne la laisse pas finir, lui coupant la parole d’un claquement de cravache sur le bois du bureau. Saisie, elle enlève son chemisier brodé, laissant apparaître le bustier qui met ses formes en valeur. Il lui fait comprendre qu’elle doit se mettre en position, courbée sur le bord de la table. Rechignant, elle le fait tout de même, toute tremblante.

Il écarte les pans de sa culotte fendue, lui caresse les globes de fesses de la main, ce qui lui procure un début de plaisir, puis lui assène des coups de cravache qui lui arrachent des cris de tourment. L’humiliation est d’autant plus grande pour elle qu’elle imagine le personnel l’oreille contre la porte, comme elle le fait elle-même.

Après cette séance sur son séant, les fesses en feu, il lui ordonne de se dévêtir entièrement tout en prenant de la cordelette dans un tiroir. Elle l’observe, se demandant si c’est une plaisanterie. Elle obtient sa réponse rapidement, lorsque la cordelette frappe bruyamment le bureau comme l’avait fait auparavant la cravache. Tremblante, elle s’exécute et se retrouve entièrement nue devant son mari, essayant de cacher ses seins et la partie frisée du bas de son anatomie.

« Voyons, soyez sérieuse, ce n’est pas la première fois que je vous vois ainsi dévêtue, madame ! »

Il la traîne devant la grande cheminé. Elle ne se souvenait pas de ces deux gros anneaux scellés sur le manteau.

« Non, mais… ça va pas ! Vous n’allez tout de même pas me traiter comme une domestique !

– On dit “ça NE va pas” ! Et pourquoi non, d’abord ? Vous les méprisez, vous les faites fouetter pour votre simple plaisir ! À votre tour de voir ce que cela fait ! »

Une lutte s’installe entre eux mais elle n’arrive pas à lui résister.

« Voulez-vous que j’appelle jardinier, valet et chauffeur pour qu’ils m’aident ?

– Non, pas devant le petit personnel ! »

Bien que résistant encore légèrement pour ne pas perdre la face, elle se retrouve bientôt entravée, les bras bien écartés, les poignets liés aux anneaux. Elle essaye bien de se détacher, mais en vain.

« Vous me faite mal, monsieur ! »

Madame a beau se rebeller, elle ne coupera pas à une sévère correction bien méritée et digne de son rang. Monsieur commence à lui caresser les côtes avec la cravache, lui fait tourner le menton vers lui pour la fixer droit dans les yeux, la réprimande encore.

Quelques soufflets de la main sur ses rondeurs, quelques coups de cravache dans le dos et entre les jambes lui font trouver des raisons toutes aussi saugrenue les unes que les autres pour essayer de défendre l’indéfendable.

« Vous repentez-vous, madame ? lui demande-t-il au bout d’un moment.

– Je ne comprends pas comment vous pouvez croire ces petites gens !

– Vous persistez dans vos mensonges ! Qu’à cela ne tienne, je vais aller les chercher, pour qu’ils énumèrent tous les mensonges que vous avez proférés à leur encontre.

– Non, mon bon ami, je vous en prie, pas devant nos gens !

– On va voir si vous aurez le courage de mentir devant eux !

– S’il vous plaît, mon époux, tout mais pas cela ! »

Feignant d’aller les chercher, il l’entend crier « Monsieur ! », « Vous n’y pensez point ! », « S’il vous plaît, revenez ! »… Lui n’a fait que semblant de sortir et s’est installé silencieusement dans le fauteuil, devant sa table de travail. Il l’observe, gigotant pour essayer de se libérer. Elle pleurniche et s’agite désespérément, espérant je ne sais quel miracle, coupée dans son élan par un bruit de chaise, juste là, derrière elle.

« Salaud !

– Comment ?

– Vous êtes un beau sal… »

Le coup lui coupe la parole, la douleur sur la fesse la fait frémir. Il l’a eue par surprise. La cravache sévit une fois de plus sur ce postérieur rougit et très endolori ! La strap s’ensuit. La douleur la fait se cabrer et essayer d’esquiver les impacts. C’est au tour du fouet de prendre la relève ; ce dernier lui mord la chair, la tailladant sévèrement. Cuises, fesses, dos, toute la surface de son corps y passe.

Il la réprimande, lui fait la morale, lui explique qu’une femme de son rang se doit d’être un modèle. Une bonne vingtaine de coups s’ensuivent, chaque phrase étant ponctuée d’un claquement sévère.

« Vous savez très chère que – Clac ! – j’ai horreur des menteuses – Clac ! – j’ai horreur des tricheuses – Clac ! – je hais la malveillance – Clac ! … »

Ses cris se sont transformés en hurlement mais il continue, inlassablement. Madame, elle, ne pense même plus qu’on peut l’entendre dans les jardins. Et il continue.

« J’exècre les mauvaises personnes – Clac ! – qui font du tort en profitant de leur situation – Clac ! – dans la société. »

Il la laisse quelques minutes, figée à ses anneaux, lui expliquant :

« Vos douleurs devraient vous aider à réfléchir. Je n’hésiterai pas, à l’avenir, à vous convoquer ici, comme toutes les personnes dont je suis le maître. »

Il la détache. Elle s’écroule au sol, pleurant, humiliée, ravalant sa rancœur, sa honte, en réconfortant ses fesses de ses deux mains. Se cachant derrière ses vêtements ramassé à la hâte, madame sort du bureau, les yeux humides de haine. Rasant les murs, elle rejoint sa chambre, espérant que personne ne l’a entendue ni vue.

Le soir, à l’heure du souper, monsieur la rejoint dans ses appartements. Il l’aide à se relever. Elle l’enlace et lui murmure dans le creux de l’oreille :

« Mais qu’attendiez-vous pour me traiter ainsi, monsieur ? »

9 commentaires

  1. Monsieur, c’est un bien beau récit ! 😉

  2. Merci pour ce très joli récit…
    Très fantasmant.

  3. Merci à vous deux.

  4. La dernière phrase est formidable !

  5. Tout le charme de la bourgeoisie, très cher. En plus le petit personnel est vengé!

  6. Joli récit, très prenant. Merci.

  7. J’imagine la mine réjouie du “petit personnel” dans la pièce d’à côté. Clins d’œil, coups de coude et commentaires ravis…

  8. Et oui, le petit personnel est vengé, la maîtresse de maison retrouve son maître et comme on dit, tout est bien qui finit bien. Phrase que j’ai du mal à comprendre mais, bon !
    Ceci dit, ils vécurent heureux mais n’eurent pas d’enfant, il en avaient bien assez bavé avec leurs progénitures respectives.

  9. Merci à vous pour ces encouragement et si vous êtes sage (ricanement) vous en aurez d’autres.
    Ps : deux messages ne pouvant pas modifier le premier.

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