Echec et mat

[anatole]

Le délicat soleil de ce début septembre inondait la Grand Place, faisant mentir la météo nationale qui avait prévu un week end pluvieux.
Je m’étais attablé à la terrasse d’un café pour y siroter un petit café et mon regard se posa bien vite sur le charmant minois d’une jolie fille assise à deux tables de la mienne. Quand je dis joli minois, c’est bien peu eu égard à la beauté de son profil, qui fixa immédiatement mon attention. Il faut dire qu’en ces périodes où toutes les filles ( les mecs aussi, mais ça m’interpelle bien moins….) circulent masquées, il ne reste plus que la terrasse des cafés pour découvrir l’intégralité du visage de ces demoiselles. Certes, on me dira, tout passe par le regard…oui, bon, mais croisé une demie seconde, il est difficile de se faire une idée plus précise et concrète de ce que cache ce masque, certes obligatoire, mais si gênant….
Bref…Elle avait comme dans le film de Jacques Demy cette beauté des filles romantiques et d’un Boticelli le regard innocent….Une chevelure mi longue, blonde et parsemée de quelques boucles masquait son œil, mais elle finit par incliner un peu son visage, rejetant quelques mèches en arrière, me permettant de voir la totalité de son faciès.
Pendant de longues minutes, je tentai d’accrocher son regard, mais ce fut un échec.
Elle était fine, un pantalon léger revêtant ses longues jambes qu’elle croisait et décroisait à intervalle régulier, comme un signe d’agacement. Son torse était enserré dans un pull en laine à col roulé, laissant deviner la rondeur de sa poitrine.
Elle regardait de temps en temps son téléphone…et moi, je ne la quittais pas des yeux….Mon hésitation à me lever devenait insistante….mais me lever, m’approcher…pour lui dire quoi ?
« -Bonjour Mademoiselle….Vous préférez rester seule ? On vous a posé un lapin ? Croyez vous que je puisse être l’homme de votre vie ? Vous habitez chez vos parents ?…..Vous tapinez chez vos marrants ?….. ».
Décidément, je ne voyais pas quoi lui dire…à part qu’elle était vraiment sublime….
Je sortis un petit calepin de ma poche et mon plus beau stylo bic et griffonnai quelques mots….
« – Je vous observe depuis de longues minutes et j’aimerais dessiner un sourire sur vos lèvres qui ne m’offrent depuis tout à l’heure que leur moue. Je vous sens contrariée, et j’aurais dû vous aborder mais pas eu suffisamment envie de troubler la solitude qui semble vous peser tant….La lueur du soleil sur votre chevelure m’a ému….Peut être aurais je dû….mais sait on jamais….Les reflets du soleil peuvent être trompeurs, et vous n’aviez probablement qu’une envie, qu’on vous fiche la paix…les tressaillements de vos chevilles me l’ont appris…et je leur ai obéi…peut être à tort….et donc si par hasard….vous pouvez me joindre au 06…. ».
Je déposai le petit rectangle de papier griffonné sur le coin de sa table en m’esquivant tel un voleur…un voleur qui n’aurait même pas pris le temps de voir son sourire….
Qu’elle ne fut pas ma surprise, un long moment plus tard, de recevoir et lire un sms
« -Croyez le ou pas, mais je suis lectrice pour une maison d’édition….j’attends toujours…en vain…un auteur qui devait me livrer son manuscrit….vos mots griffonnés m’ont émue….Pouvez vous revenir ? ».
Heureusement, une borne de trottoir en béton accueillit mes fesses…j’hésitai un long moment avant de répondre par la même voie.
« -Non, désolé, je suis très occupé (connard…même pas vrai!!!) mais venez donc prendre l’apéritif à mon hôtel tout à l’heure….19 h30 si ça vous convient….le cinq étoile… ».
Quelques secondes passèrent…mon coeur était en émoi…voire un peu plus….La réponse arriva…
« -L’hermitage ? Oui, je connais bien…ok…
-Pas de problème..c’est bien celui là…à tout à l’heure… ».
Il me restait quelques heures….
Il était 19h 30 tapantes lorsque je la vis traverser le bar de ce si bel hôtel…J’étais assis au piano du bar, évaporant les quelques mesures que je connaissais par cœur sur le clavier. Je levai ma main droite qui n’avait rien à jouer pendant quelques secondes en lui tendant à son passage les vingt pages que j’avais écrites pendant cette longue après midi d’attente avant de la revoir, lui murmurant…
« -Allez vous assoir, commandez ce que vous voulez, je termine The man i love puis Summertime et j’arrive… ».
Cinq minutes plus tard, je posai mes fesses sur le profond fauteuil face à elle…Elle avait encore en main les feuillets que j’avais fait imprimer quelques minutes plus tôt. Ces pages racontaient ce que j’avais éprouvé en la croisant par hasard quelques heures plus tôt, ce que le hasard évoquait chez moi et ce que la vision de son corps aussi joliment vêtu avait initié chez moi dans mes fantasmes personnels et si anciens…et j’avais en copier coller ajouté au centre de ces feuillet un de mes récits publié ici même dans ce site que vous fréquentez tout comme moi…Il y était question d’une jolie femme que j’avais adoré punir comme ceci, voire comme cela….
Elle avait commandé une vodka citron que le loufiat local venait de déposer sur la table basse qui séparait encore nos deux corps. Je levai la tête.. désolé au fond de moi de devoir quitter la visu que j’avais sur ses cuisses largement dévoilée par sa petite robe si peu longue…et demandai un scotch sans glace…
Après quelques instants de gêne silencieuse, j’osai…
« -Alors ?
-Vous écrivez très bien, et je suis en recherche…
-Ne vous méprenez pas, mais…vous m’avez paru si belle tout à l’heure….juste envie de vous connaître..à midi..quand je vous a aperçue…
-Vous êtes pianiste donc ?
-Mais alors pas du tout…juste envie de piquer le clavier tout à l’heure au pianiste de bar…en vous attendant…non, je suis…mais aucune importance…donc vous avez aimé ce que j’ai écrit… ?
-Oui…c’est troublant…. ».
Mon scotch 30 ans d’âge (pfou…j’avais lu le prix sur la carte un peu plus tôt…pourquoi choisir un tel breuvage hors de prix …. ? pour l’impressionner ? Mes écrits auraient dus être suffisants…!!!pour me donner du courage???) arriva sur la table…J’hésitai une seconde à demander une bouteille de coca pour aller avec, juste histoire de détendre l’atmosphère que je voulais créer, et de voir la tronche du loufiat obligé de me le refuser….
Je portai le verre empli de ce breuvage insensé à mes lèvres et me laissai emplir de ces volutes fabuleuses….
« -J’aurais du demander du coca pour voir la tronche qu’il aurait fait…. ».
Elle s’esclaffa à ma boutade….bon…pas encore tout perdu…
« -Donc, ce que j’ai écrit vous a troublée…les hasards de la vie sont parfois..impénétrables….. ».
Elle ne répondit pas…Il me fallait avancer…
« -Donc vous attendiez un manuscrit qui n’est pas arrivé ?
-Vous savez, les écrivains ratés…
-Non ..je ne sais pas…Mais dites moi…Vous avez aimé ce que je vous ai écrit…. ?
-Oui…ç’est intéressant…même si ça ne correspond pas…. »
Elle laissa sa phrase en suspens.
« -C’est le petit récit érotique que j’ai glissé au milieu qui vous choque ?
-Ca ne me choque pas, mais ce n’est pas ce que nous publions habituellement…
-Je me fous de ce que vous publiez…c’est juste..ça vous intéresse… ? On finit l’apéro et on monte dans ma chambre….j’ai tellement envie de vous…de vous et de…. »
Je laissai le silence s’installer, finissant mon verre de scotch…elle était si belle et si prête à tout….enfin à mon avis….Je posai une main sur sa cuisse…Son geste de refus fut tellement gentil….
« -Oui…ce que vous écrivez est…très excitant…je ne dis pas que….mais…je suis en couple avec mon éditeur et….il est très jaloux….êtes vous intéressé pour signer avec nous ? Je trouve que vous écrivez très bien … Je pourrais vous faire signer un contrat…. ».
Ma main se reposa sur ma cuisse..et je réfléchis à peine quelques secondes…
« -Hum…vous vous êtes en chasse…d’une plume…..moi je suis en chasse…d’un cul…le vôtre…en l’occurrence..alors ?
-Alors non…désolée…
-Alors…si c’est non…nous avons perdu tous les deux….Rendez moi les feuillets s ‘il vous plaît et je vous rend…votre liberté… ».
Je vous fais grâce de la fin de la discussion….et de ma déconvenue…on ne gagne pas à tous les coups….

Je me sentirais vieux le jour où mon sexe ne me servira plus qu'à pisser

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